Holker regarda son escouade, et se demanda ce qu’ils étaient venus faire dans la capitale. Certes, cela représentait une pause intéressante et un changement de paysage bienvenu comparé aux terres désolés de Fhaedren, mais malgré tout, cela ne présageait a priori rien de bon. Ils avaient officiellement été rappelés pour une mission, mais le jeune hybride n’en croyait pas un mot. Il connaissait les manières de faire de l’Empire et leur fourberie proverbiale, et ne faisait confiance à personne. Personne, sauf Ivain. Il regarda à sa droite, le visage serein et souriant de son frère l’emplissant d’une force tranquille et d’une détermination sourde. Pour eux deux, il ferait face. Il hocha la tête, et pénétra dans le grand bâtiment dans lequel il avait été convoqué, laissant Ivain rejoindre son escouade dans les quartiers qui leur avaient été assignés. Il se présenta au bureau, et déclina son nom et son grade, expliquant la raison de sa présence. Il fut redirigé vers une autre salle d’attente, et il enchaina les couloirs et les escaliers, jurant intérieurement. Il n’aimait pas la situation. N’aurait-il pas été plus simple de lui donner un ordre de mission et un briefing rapide, aussi incongru que puissent être ses objectifs ?

Il finit par s’assoir dans un fauteuil posé au milieu d’une pièce vide, face à une porte cyclopéenne qui semblait le dévisager froidement. Il attendit encore dix minutes, la rage et la fureur grondant en lui de manière sourde. Il grinça des dents, menaçant de les réduire en poussière, et faillit se lever pour faire les cent pas, avant de voir la porte s’ouvrir enfin, dévoilant une vieille rombière aux cheveux grisonnants et à la peau tombante. Son uniforme semblait trop grand pour sa forme rabougrie, et ses deux yeux turpides se posèrent sur le jeune Hallgrimr avec la même vivacité que ceux d’un buffle arthritique. Elle marmonna quelques mots et lui fit signe d’entrer, ce dernier s’exécutant pour découvrir un endroit ressemblant étrangement à la pièce qu’il venait de quitter. Pauvre, sans aucune décoration superflue, sans aucun élément distinctif. Un bureau, du papier, deux chaises et un stylo. Quelques documents bien empilés, aussi, et une plaque de métal sur laquelle était inscrite le nom de la créature ancienne : Madame Sweskel. Il s’assit en face d’elle, et attendit qu’elle commence. Cette dernière le regarda de travers une fois de plus, avant de remonter ses lunettes et de commencer, sa voix grinçante perçant les oreilles de l’hybride :

"Holker Hallgrimr. Chef de cette escouade. Hm. Etat de services exemplaires. Humph. Bien bien… Savez-vous pourquoi vous avez été convoqué ?

- Non madame, répondit-il sur un ton neutre.

- Ca ne m’étonne de quelqu’un comme vous.

- Quelqu’un comme moi, questionna-t-il, craignant de deviner ou se dirigeait la conversation.

- Vous savez, avec vos… Fit-elle en se passant la main dans les cheveux."

Ses doigts se plièrent et se déplièrent, avant de se planter dans la paume de ses mains, blanchissant sous l’effort et menaçant de les percer. Il avait oublié le racisme ambiant qui régnait à Ellgard. Les gars de son unité s’en moquait, préférant de loin être mené par un hybride qui les comprenait que par un autre, et ceux que sa dérangeait avaient appris à se taire. Mais ici, il n’était pas à l’armée. Pas vraiment. C’était le royaume des planqués, de ceux qui menaient la guerre en grattant du papier, assis dans des bureaux chauffés et confortables. C’était l’Empire des lâches et des faibles, et il ne pouvait rien contre eux, car ce n’était pas son Empire. Le sien était à Fhaedren, parmi ses semblables. Il pensa un instant à sauter sur la vieille mégère et à l’écharper, à plonger ses doigts dans sa peau affaissée et à se venger pour ces intolérables offenses. Il se retint cependant, et se contenta d’afficher un sourire aimable, comme s’il n’avait pas réellement compris ce qu’elle voulait lui signifier. Elle souffla, visiblement peu satisfaite par sa réaction, et cela l’apaisa quelque peu, rendant sa fureur plus tolérable.

"Quoi qu’il en soit, continua-t-elle. Vous allez assister le Seigneur Icare dans sa mission. Normalement, un simple ordre de mission aurait du suffire à vous expliquer la situation, mais j’ai jugé bon de vous convoquer personnellement pour le faire. Vous comprenez, j’en suis sûre. Votre but sera de mettre à sa disposition votre escouade, afin de supprimer avant qu’il ne prenne de l’ampleur les velléités rebelles d’une tribu du nord de notre Empire. J'attends de vous que vous dépassiez votre nature primaire. Les conséquences seront lourdes sinon. Vous avez compris ?"

Elle le prenait pour un imbécile fini. Holker la regarda, et remercia la pâleur naturelle de son visage, qui camouflait en ce moment son teint livide. Il se contenta de hocher de la tête, et se promit d’un jour prendre sa revanche contre cette créature. Il avait déjà enduré bien pire, et s’était toujours assuré d’exercer sa juste rétribution sur les fautifs. Cette fois-ci ne ferait pas exception. Elle le congédia d’un geste de la main après lui avoir expliqué qu’il était censé le retrouver dès le lendemain à un poste de contrôle proche de la sortie de la ville avec un convoi motorisé capable de le transporter lui et ses hommes sur les lieux de l’opération. L’adolescent hocha de la tête, ne daignant pas non plus lui répondre, et se leva. Elle n’avait plus aucun pouvoir sur lui. Elle n’était qu’un rouage amer de la grande machine bureaucratique de leur pays, et elle venait de relâcher son emprise sur lui.

Il quitta le bâtiment, sa fureur nichée au creux de son ventre comme l’œuf d’une créature précieuse qu’il aurait gardé au chaud contre son sein, et se dirigea vers les casernes, retrouvant son escouade et leur expliquant la situation. Il fut bref, et Ivain sentit sa colère, avant qu’il ne lui explique ce qu’il venait de vivre. Le regard de son frère se durcit, et il lui proposa, chose rare pour lui, de trouver quelqu’un sur qui passer ses nerfs. Holker crut un moment rêver, mais comprit rapidement ce qu’il voulait dire. Il parlait d’une séance sur le terrain d’entrainement. Quelque chose de régulé, une activité dans laquelle il ne risquait pas de tuer quelqu’un. Il sourit, appréciant la sollicitude de son frère, et le suivit. Demain, ils avaient fort à faire.

Sa nuit fut courte et sans rêve, et il se leva vers quatre heures du matin, avant de se diriger vers les hangars pour retirer les machines qu’il avait réservé. Trois transport de troupes tout terrain, capable de pratiquer même les pistes les ardues et enneigées. Il fit signe à ses hommes de prendre position, et prit la tête du convoi, conduisant son camion vers le poste de contrôle indiqué, s’aidant d’une carte de la ville. Il lui fallut quinze minutes de trajet, la base militaire étant déjà assez excentrée, avant d’arriver au lieu de rendez-vous. Il vit un assemblage de silhouettes en uniforme attendre sur le côté, et il descendit du véhicule pour aller les saluer.

"Holker Hallgrimr, à votre service Seigneur Icare, fit-il à celui qui semblait diriger la troupe en exécutant un salut militaire rigoureux. Moi et mes hommes sommes à vos ordres."

Il attendit la réaction de son supérieur improvisé, priant pour qu’on ne lui ait pas assigné une ordure trop insupportable.