ft. Freyja BELLEFAYE

Les Confins du Nord

River deep, Mountain high

Le froid était rude et la neige collait à mes bottes. Je resserrai les pans de mon manteau autour de mon cou et plissait les yeux pour que le vent glacial ne brouille pas ma vue. La traqueuse continuait d’avancer à son rythme et elle était infiniment plus douée que moi pour se déplacer dans cet environnement. Je marchais difficilement dans ses pas, mais au moins elle dessinait pour moi chemin dans la neige. Je n’avais qu’à marcher au même endroit qu’elle. J’essayais de rester aussi discret qu’elle l’était et aussi habile mais je n’avais pas son assurance. Cependant je voulais me montrer à la hauteur. Elle était venue au nord de la capitale pour chasser et je n’avais pas envie de faire fuir son gibier ni de trainer dans ses pattes. En décidant de l’aider, j’avais quelque chose à prouver. A elle, comme à moi.

Quand je l’avais vu partir de la base de l’inquisiteur, j’avais instinctivement fait le choix de l’accompagner. Cela avait été comme un réflexe. J’avais une opportunité et je l’avais saisi. Je ne savais pas où elle pouvait aller au début. Mais je m’étais douté qu’elle se rendait au nord. Elle portait une tenue faite pour la chasse et son arc pendait à son épaule. J’en avais fait une déduction qui s’était avérée juste et j’avais eu la bonne idée de me saisir d’un manteau doublé de fourrure avant de lui emboiter le pas.

Je ne sais pas bien pourquoi j’avais agi ainsi. Je ne peux pas dire que j’étais particulièrement proche d’elle. Nous faisions tous deux partis des forces de l’inquisiteur Mort dans l’armée. Nous avions donc déjà eu l’occasion de nous rencontrer et de participer ensemble à des événements de l’armées ou à des réunions chez l’inquisition. Mais j’étais dans les Forces Spéciales d’Intervention et elle faisait partie des Tirailleurs Avalanches, à ce titre nous n’avions encore jamais collaboré sur une opération de l’inquisiteur. La suivre et participer à sa chasse aurait été une bonne façon de créer des liens. Mais ce n’était pas juste ça. Quand mon regard croisait le sien, j’avais la sensation de voir dans ces yeux tout ce que je détestais chez les politiciens, nobles et autres aristocrates.

Ironique n’est-ce pas ? Moi qui était né dans leur monde, qui avait été élevé pour en faire partie et pour m’élever dans cette société - car oui, ma seule conception n’était que dans ce but précis - je détestais leurs façons d’agir, leurs manières, et leurs tromperies. Et pourtant, je faisais exactement comme eux. Je participais à leurs banquets aux côtés de mon père, j’apprenais petit à petit à réfléchir comme eux et à me fondre dans la masse. Mon ascension dans la hiérarchie militaire n’avait pour but que mon évolution au sein de l’aristocratie Ellgardienne. Mon père y comptait bien et je n’aurais su faire autrement. Un jour je serais au sommet car c’est ce qu’on attendait de moi et parce qu’il n’y avait que l’Empire qui importait. Et pourtant, je ne supportais pas les membres de hautes sphères. Je jouais mon rôle, pour mon père, pour moi et encore une fois pour l’Empire.

Je ne pouvais pas ouvertement évoquer mon point de vue. Qui m’aurait pris au sérieux si j’avais crié sur les toits que je n’étais pas à mon aise dans leur milieu mais que je voulais en faire partie ? Ma seule solution était d’avoir une double vie. Avec mon père et son monde, j’agissais comme un aristocrate et mon ambition quelque peu prétentieuse n’était pas voilée. Mais avec mes camarades, je pouvais agir librement et être moi-même. J’étais fidèle à Mort, à l’Empire et à mes coéquipiers. C’était là ma seule échappatoire pour pouvoir agir normalement. Seulement, pour certain, je me rendais bien compte que je pouvais paraitre hypocrite. Et je ne voulais pas que Freyja puisse penser cela.

Je l’avais donc suivi sans hésiter pour lui prouver que je n’étais pas comme eux et qu’elle pouvait avoir confiance en moi mais aussi pour me le prouver. Je voulais me rassurer et confirmer que je jouais un rôle avec eux et non pas avec Mort.

Le silence soudain me fit sortir de ma rêverie. La chasseuse s’était arrêtée juste devant moi et se tenait immobile et silencieuse. Je la bousculais légèrement mais me reprenait suffisamment à temps pour ne pas la percuter de plein fouet et la faire tomber.

« Tu as vu quelque chose ? »

Ma question n’avait été qu’un murmure à son oreille. Je ne voulais pas la déranger ni nous faire remarquer par un potentiel gibier. Mes yeux parcoururent la vaste étendue blanche parsemée d’arbre aux branches croulant sous le poids de la neige. L’endroit semblait désert mais je n’avais pas ses yeux et sa capacité à débusquer une proie.