L'ordre impérial avait sonné, claqué dans l'air, par cette voix aussi frustrante que dérangeante, aussi effrayante que l'aura qui l'accompagnait. L'inquisiteur avait parlé, et en l'absence d'un autre de son rang, ou du Glorieux couple Sifknir, ce qu'il voulait devait être accompli. Un frisson parcourant l'échine de la Croisée, et un regard maintenu, respectueux, tandis qu'en elle la corruption laissée par sa mère - ou sa nature - lui laissait ce sentiment mauvais, contenu. C'était une chose d'en vouloir au serpent, ou de la haïr, mais pour Neha, c'était bien différent. Elle l'aimait. Elle le méprisait. Elle l'adorait. Elle le détestait. Elle avait cette relation conflictuelle avec lui, depuis le jour où, au fin fond des eaux, l'Eté et le mythe s'étaient rencontrés. Il n'était pas son opposé, il n'était pas l'hiver ombrageux, mais en son être résidaient les même ténèbres, la même relation d'adhérence au Dieu obscur, et pour la Rouge, c'était un aimant. Un aimant dont les deux pôles se trouvaient en face d'elle, l'attirant, la repoussant...
Avant de quitter la salle, l'auberge, avec son équipe, décidée de façon tout à fait réfléchie, bien que l'oracle aurait sans doute été plus utile de son côté, elle s'inclina respectueusement envers le maître de Conquête, ses cheveux d'un blanc soyeux coulant au devant de son visage, tandis qu'elle lui annonçait sa réponse - inutile, il était l'ordre, mais Ellgard était une nation militaire, et chacun savait qu'il fallait redoubler de fidélité.
_ Bien reçu, Messire Inquisiteur.Puis, laissant les menaces du serpent planer, elle se dirigea vers les deux Nueviens censés l'accompagner. Dame Dianthéa, et l'inconnu arrivé en dernier. Inconnu dont elle demanda le nom sans tarder. Et les voilà qui finirent par partir, se dirigeant vers le village le plus proche, dans l'espoir d'obtenir des informations.
***
Arrivés dans le village, quelle ne fut pas la surprise de trouver demeures ouvertes et chaleureuses, vues de l'extérieur. La Bête n'était donc pas parvenue jusqu'à leurs oreilles, en guise de rumeurs ou de racontars ? Ou jouissaient-ils de quelques moments de bonheur, dans l'espoir de vivre gaiement avant de mourir ? Ou peut-être n'étaient-ils pas inquiets ? Allez savoir. Néanmoins, à mesure que ce groupe s'approchait, l'Eté put remarquer la frayeur et l'inquiétude inscrite dans l'atmosphère, à mesure que chaque maison se fermait sur leurs passages. Au début, elle crut qu'il s'agissait juste d'un incident isolé, mais lorsque les pas s'accentuaient, tout devenait clos, à part la devanture d'une auberge. Se tournant vers les deux Nuéviens, elle échangea un regard empli de sens avec eux, à savoir la direction la plus évidente à prendre, et dès lors qu'ils passèrent les portes de l'auberge, la diplomate s'avança plus en avant, avant de prendre la parole, levant un bras pour écarter toutes tentatives d'agression ou de frayeur de la part du tenancier.
_ Bien le bonjour, Messire Aubergiste. N'ayez crainte, nous ne sommes pas en ces lieux pour vous porter préjudice ou tort. Je me nomme Neha. Chevalier Neha Folia, d'Ellgard. Je suis ici accompagnée de Dame Dianthéa, et Messire Galahad, tout deux habitants de votre doux pays. Nous voudrions votre meilleur alcool, ainsi que quelques informations, si possible. Nous avons remarqué en venant que votre humble village semble très fermé. Que se passe-t-il donc ?Le Solstice, qui espérait que sa peau rouge, ou son étrange allure, n'effraie pas l'aubergiste, désirait ne pas commencer à parler de la créature. Pour savoir ce que l'homme désirait dire, ou lâcher, il fallait tout d'abord lui paraître ignorant. Ensuite, lorsqu'il aborderait - si tel était le cas - le sujet du monstre, elle pourrait rebondir. Sinon, elle pourrait toujours en parler elle même.
Et l'alcool était pour lui donner du chiffre d'affaire. Il était bien plus facile de parler lorsque l'on y gagnait quelque chose.