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Lost Kingdom  :: Akantha :: Oriade, duché Méridion

Les clefs de l'ascension [Su'en Sîn & Chance Maltar]

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LES CLEFS DE L'ASCENSION
Su'en Sîn & Chance Maltar


Le trajet avait duré des jours, de longs jours coincés à l'arrière d'une calèche bringuebalante sur les routes de terre. Chance avait vu s'éloigner Everbright et tout ce qu'il connaissait pour se retrouver plongé au milieu de vastes paysages dont rien ne venait entraver l'horizon. Le désert, ces multiples grains de poussière qui réverbéraient la lumière de l'astre du jour, l'avait aveuglé au moindre regard qu'il avait porté vers l'extérieur. La chaleur était vite montée, devenant difficilement supportable malgré les fins habits de voyage dont il était vêtu. Sans doute cette sensation avait été renforcé par le fait qu'il ait agité pendant tout le trajet un éventail pour rafraîchir sa maîtresse Elisabelle, mais voir enfin surgir au loin la demeure de pierres de la famille Méridion avait été un grand soulagement. Ce soir-là, il avait revêtu ses plus luxueux atours pour être présenté à ses nouveaux maîtres. La dirigeante des Kelshion avait multiplié les courbettes et les flatteries, avant de finalement l'offrir comme présent en renouvelant ses vœux de vassalité. Tout du long, Chance s'était contenté de sourire et de faire profil bas, examinant du coin de l’œil les rares démons présents, auxquels il se devrait désormais d'obéir. Certains avaient eu l'air curieux, d'autres n'avaient pas semblé le moins du monde intéressés, les derniers encore avaient eu dans le regard cette même agressivité qu'il avait connu chez Valdan. L'un des démons, Shaol, celui qui semblait être le maître même de la maisonnée, était cependant sorti du lot et l'avait pris sous son aile. Chance avait été perturbé d'une telle attention, mais il avait vite compris tout l'avantage d'une telle position. Alors il avait montré toute sa déférence à ce nouveau maître, prêt à faire ses preuves pour gagner sa confiance.

Le grand couloir renvoyait le faible écho de ses pas alors que Chance avançait presque gaiement vers l'une des chambres des invités. Fredonnant tout bas, il retenait un sourire sans pouvoir s'empêcher d'apprécier ce moment de solitude. La demeure était en temps normal étonnamment vide pour dire qu'il s'agissait de la résidence de la famille d'un Duc Ardent. Ces jours-ci cependant elle s'était emplie d'invités car le maître des lieux, sire Shaol, avait organisé l'une de ses fameuses soirées mondaines, qui attiraient les nobles comme la lumière attire les papillons. Rapidement, le silence avait cédé la place aux musiques et aux conversations agitées, aux rires et aux messes basses. Chance ne savait pas exactement à quoi il s'était attendu lorsqu'il avait juré fidélité à son nouveau maître, mais certainement pas à devoir l'accompagner à une fête. La réunion de nobles lui avait rappelé des souvenirs de l'époque où il était promené à la Cour des Cendres, des souvenirs mitigés sur lesquels il n'avait guère eu l'envie de s'appesantir. Mais ce ne fut que rétrospectivement qu'il fut marqué par cette soirée, quand quelques temps plus tard, maître Shaol lui apprit qu'il allait être formé par l'un des invités afin de servir les intérêts de la famille Méridion.

Chance se demandait à présent s'il avait fait le bon choix en acceptant si rapidement la proposition de son maître. Mais c'était justement parce qu'il s'était s'agit d'une proposition et non d'un ordre qu'il avait aussitôt dit oui, sans prendre la peine d'y réfléchir à deux fois. Peut-être avait-il été un peu précipité, mais c'était une occasion idéale de prouver sa fidélité. Un geste après l'autre, une parole après l'autre, une décision après l'autre, il se rapprocherait le plus possible du sommet. Il ne savait pas encore comment il allait s'y prendre pour atteindre son but. Eh, il ne savait même pas encore quel était exactement son but ! Mettre à terre la Cour des Cendres, détruire le pouvoir en place pour reconstruire un pays égalitaire ? Ça paraissait irréalisable. S'il tenait vraiment à faire cela, il avait du chemin à parcourir, il en était conscient. Et ce chemin commençait ici, par cette formation... d'informateur ? Un bien gentil mot pour qualifier l'espionnage à son avis, mais au final cela lui convenait parfaitement. Le savoir conduisait au pouvoir, et en jouant ce rôle pour la famille Méridion, il en acquerrait lui-même une part. Et alors il aurait à la fois les relations et les moyens de pression.

Lorsqu'il parvint devant la porte, Chance s'immobilisa un instant, prenant le temps de dissimuler sa satisfaction sous un masque de déférence. Il rajusta les plis de sa tunique pâle, compta jusqu'à trois, puis frappa quelques coups contre le battant de bois, attendant d'être invité à entrer. Dès que la voix féminine lui répondit, il pénétra dans la pièce puis referma précautionneusement le battant derrière lui, les plongeant dans la pénombre.

- Maître Sîn ? Je suis Chance, se présenta-t-il en s'inclinant profondément. C'est un honneur de vous rencontrer aujourd'hui.

Il marqua quelques seconde avant de se redresser, laissant un peu plus de temps à ses yeux pour s'habituer à la semi-obscurité. Quand il distingua avec plus de précision les meubles de la pièce, il porta son attention sur son formateur. Ou plutôt sa formatrice. Celle-ci lui tournait le dos, mais malgré le peu qu'il pouvait en voir, il constata de suite que maître Sîn était une très belle femme, plus jeune qu'il ne s'y était attendu. Il n'en fit cependant pas la remarque, attendant patiemment qu'elle finisse ce qu'elle faisait et daigne lui prêter attention.


Codage bidouillé par Ez'
Il y a une dizaine de jours, j’avais eu la surprise de recevoir une missive me proposant de former quelqu’un aux arts de l’intrigue et de l’espionnage, voir les arts sensuels et sexuels si ce dernier le souhaitait. On m’annonçait qui s’était et quel était son ancien propriétaire. On m’informait aussi de notre rencontre lors d’un événement mondain à la demeure du Duc ardent. Bien sûr, on me confirmait mon séjour dans leurs quartiers des invités si je venais à accepter.

En cherchant puis en visualisant la jeune pousse que j’allais former, je me dis que j’aurais pu tomber bien plus bas. Je demandais la présence de l’Ancienne avant de me tourner vers une novice, un petit sourire aux lèvres.

« - Prépare mes affaires pour un séjour prolongé chez un noble, puis fait de même pour tes affaires, nous partons à la demeure d’un Duc ardent. »

Une fois l’ordre donné, je commençais un brouillon de lettre pour une réponse. Quand l’Ancienne arriva, je tournais la lettre dans sa direction sur la table pour qu’elle puisse la lire. Elle la lut avant de me regarder un peu, en voyant mon brouillon et la novice qui s’activait, elle soupira avant de confirmer mes demandes tues.

« - Je m’occuperais d’ici pendant tes "vacances" ».



Je vous passe les journées d’organisation, de choix de tenues et de routines pour arriver directement au moment où j’allais recevoir enfin mon jeune apprenti.



Pour le coup, je ne portais aucun masque ou loup, visage et tête dénudés, ma chevelure retenue artistiquement par une simple barrette, mes oreilles dépassant légèrement de la masse de cheveux. Nous étions en début d’après-midi et il était prévu un dîner à la tombée de la nuit. Une bonne façon d’entraîner le « jeune ».

Des pas approchant, une cadence volontaire accompagnée de fredonnements… Il ne venait pas de force, c’était déjà cela de bon, quoi que…

Le petit arrêt devant la porte qui me fait pencher la tête ; appréhension ou un essai de se calmer ?

La novice se tenait dans un coin sombre, apprenant de moi depuis déjà quelque temps. Elle savait se faire oublier et disparaître sans réellement se camoufler.

Des petits coups à la porte, une réponse neutre de ma part, et voilà une jeune branche pleine de sève et délicieusement belle qui entre. Un miroir déplacé par mes soins me permit de détailler le jeune arrivant sans avoir à me tourner.

N’étant pas sadique pas nature, quoi que, je ne tardais pas à me retourner, mes jupes légères frottant légèrement. Mes yeux particuliers se posèrent enfin directement sur lui alors qu’un petit sourire en coin apparaissait.

« - Bonsoir Chance, approche et assis toi, nous allons devoir parler un peu avant de voir ce que tu vaut sans formation ce soir... »

Je pris place dans un petit sofa avec une délicatesse et un raffinement palpable.

« - Dit moi, Chance, voudrais tu un rafraîchissement par cette chaleur ? Pour ma part, je prendrais bien un thé glacé »

Je levais la main après la réponse du jeune esclave, ordonnant à la novice qui m’accompagnait, Myra, d’aller nous chercher cela. Bien sûr, sa commande était comprise dedans puisqu’elle participerait à la conversation à son retour.

«  Je vais rentrer dans le vif du sujet. L’espionnage ne se fait pas sans connaissances. Si tu vois quelque chose, comment pourrais tu comprendre si c’est important, utile ou juste rien, si tu ne sais pas le contexte derrière. Un esclave battu n’aura pas le même impact qu’un ancien noble devenu esclave battu… La scène devant toi sera la même, mais ta compréhension en sera différente, et donc l’information que tu rendras à ton maître sera autrement plus utile. C’est pour cela que tu n’auras pas que des « cours » d’espionnage, mais tu suivras aussi un cursus d’histoire, de théâtre, d’étiquette, d’auto-défense, et j’en passe un certains nombre. Certains cours seront prévu pour te permettre de ressentir et percevoir ton environnement de façon plus instinctive et détaillée, d’autres te permettront de te faire passer pour ce que tu n’es pas ou pour cacher ce que tu sais ou ressens. Le petit fredonnement avant ton entrée ne m’a pas échappée. »

Bien sûr, je ne restais pas immobile pendant cette tirade, mes mains se déplaçaient. Soit pour faire les guillemets, soit pour compter les types de cours. Un petit sourire en coin apparut quand je parlais du petit Fredonnement. Je continuais sur ma lancée.

« - Je pense fortement que tu n’avais pas remarqué la présence de Myra tout à l’heure. Il faudra aussi que tu puisses te rendre invisible sans chercher à te cacher. »

Alors que je finis ma phrase, Myra « apparut » en bout de la table, posant un petit plateau. Ses déplacements silencieux pour un humain, mais pas pour moi durent le surprendre. Il faut dire que je masquais les bruits légers de la porte qui bouge avec mon discours.



Heureusement, l'attente ne fut pas longue. Maître Sîn l'invita à prendre place sur l'un des sièges confortables de sa chambre, et Chance s'exécuta aussitôt, sans précipitation mais avec cette obédience qu'il avait développé avec les années. Il observa la femme en faire de même avec une grâce qui le fit se sentir pataud malgré les manières qu'il essayait d'afficher. À n'en pas douter, elle avait l'habitude de se paraître, chacun de ses gestes exhalant de charme, et s'était comme si le simple fait de s'asseoir était devenu tout un art.

L'annonce d'une épreuve le soir-même le prit de court et Chance esquissa un nouveau sourire pour dissimuler ses interrogations. Évidemment, une formation comme celle qu'il allait commencer n'allait pas se dérouler comme s'il souhaitait simplement apprendre un cours. Il s'agissait de développer toute une manière d'agir, et pour cela rien ne valait de se jeter dans le bain. Il aurait quand même bien aimé avoir quelques indications avant cela, une idée au moins, de ce qui était attendu de lui. Au lieu de cela, la femme lui proposa à boire. Il marqua une hésitation, peu habitué à être traité en invité, puis hocha la tête.

- Un thé glacé serait en effet fort appréciable.

Il se demanda pendant un instant s'il devait proposer d'aller leur chercher, mais avant qu'il ne se décide, maître Sîn fit un petit geste de la main. Une seconde femme sembla subitement apparaître, faisant sursauter le jeune homme. Elle semblait avoir surgit de nulle part, tellement inattendue qu'il se demanda s'il ne l'avait réellement pas vu ou si elle avait usé de quelque forme de magie. Maître Sîn interrompit cependant son questionnement en reprenant la parole pour lui expliquer en quoi consisteraient ses leçons. Il se concentra sur ses paroles pour ne pas manquer la moindre information, et son cœur s'accéléra lorsqu'elle offrit son exemple.

Est-ce qu'elle savait ? Est-ce qu'elle savait comment il avait fini par échouer ici, à l'écouter lui raconter cela ? Sûrement, ça aurait sinon été une bien drôle coïncidence. Mais cette petite pique qu'elle lui lança eu un double impact sur lui. Car il comprit qu'elle avait enquêté à son sujet, et le simple fait de savoir qu'elle eut put acquérir des renseignements qu'il n'avait fourni à personne le faisait frissonner. Ce frisson, c'était la traduction physique du sentiment qu'elle éveillait en lui. Non pas de la peur – il n'avait pas honte de ce qu'il avait vécu, et à sa connaissance même si des rumeurs circulaient sur la disparition de Valdan, rien ne pouvait mener à croire qu'il en était responsable – mais de l'impression. C'était cela exactement qu'il cherchait, ce pouvoir à exercer sur quelqu'un et qui pourtant – c'était la seconde chose dont il avait à cet instant pris conscience – restait imperceptible à quiconque ne connaissait pas déjà l'information. Le pouvoir de faire pression au vu de tous sans que la cible ne puisse se révolter sans trahir elle-même son secret.

La leçon que maître Sîn voulait lui inculquer cependant, était légèrement différente. Il ne suffisait pas juste d'obtenir une information, il fallait savoir la replacer dans son contexte afin de réellement la comprendre. S'en suivit tout un listing des cours qui lui serait dispensés pendant cette formation, dont certains lui seraient déjà en partie familiers, et Chance en fut rassuré. Il ne partirait donc pas totalement de zéro.

Maître Sîn sourit en lui apprenant qu'elle l'avait entendu fredonner avant son arrivée. Chance rentra légèrement la tête entre les épaules, se demandant s'il s'agissait d'une réprimande. Néanmoins la femme souriait, alors peut-être n'était-ce qu'une remarque pour lui indiquer de prendre garde et de ne pas laisser paraître plus que ce qu'il souhaitait. A moins qu'il ne s'agisse d'une indication sur ses compétences ? Chance examina les oreilles pointues qui dépassaient de la chevelure ocre, réalisant que maître Sîn possédait sûrement une bien meilleure ouïe que lui. Il ne pourrait certainement pas l'égaler à ce niveau, aussi lui faudrait-il à l'inverse apprendre à se soustraire à ce sens, à devenir aussi silencieux qu'une ombre. Et aussi invisible qu'un courant d'air, rajouta-il intérieurement suite au sermon et à la réapparition soudaine de la seconde femme, qui le prit encore une fois par surprise.

- Merci, murmura-t-il quand elle déposa le plateau contenant leurs boissons sur la table, avant de prendre à son tour place dans l'un des fauteuils.

Il attendit que les deux femmes aient commencé à boire avant de prendre lui-aussi une gorgée, examinant la nouvelle venue du coin de l'œil. Était-elle elle aussi une informatrice tout comme maître Sîn, ou se rapprochait-elle plutôt de lui en tant qu'apprenti ? Il aurait plutôt penché pour la seconde option au vu du respect qu'elle montrait pour maître Sîn, mais il la voyait également qu'elle était de loin en avance sur lui.

- Je réalise que j'ai beaucoup à apprendre, maître Sîn, se contenta-t-il finalement de répondre.

Sans doute savait-elle déjà qu'il possédait certaines bases, alors il était inutile de les lui rappeler. Et si elle l'ignorait, il serait certainement plaisant de l'impressionner un peu à son tour. Même s'il doutait que cela soit possible.

- Soyez convaincue que je ferai de mon mieux répondre à vos attentes et à celles de maître Shaol. Et je vais d'ores et déjà montrer plus de retenue dans mon comportement même lorsque je me crois seul, au moins le temps d'être capable de m'assurer que c'est bien le cas.

Il esquissa un sourire légèrement ironique, se moquant de sa propre crédulité. Les murs n'avaient pas forcément d'oreilles, mais il devait être bien facile pour des personnes comme celles qu'il avait en face de lui de percevoir les murmures qui se croyaient échangés en secret.

- Si vous le permettez, j'aimerais savoir ce que vous attendez de moi à l'avenir.

Le formait-elle réellement uniquement parce que maître Shaol le lui avait demandé – et l'avait sûrement payée – ou attendrait-elle autre chose de sa part à lui ? Rien d'autre que son obéissance pendant les cours ou bien une certaine allégeance qu'il n'était pour l'instant pas sûr de lui devoir ? Peu importait, elle ne dirait certainement rien d'inapproprié ce soir, et quelle que soit sa réponse il aurait bien du mal à en juger la véracité.

- Et que dois-je accomplir ce soir ? Cela a-t-il quelque chose à voir avec le dîner ?

Ce serait en effet une occasion parfaite de glaner des bribes de conversations, mais était-ce là ce que voulait maître Sîn ? Chance en était au point où il se demandait s'il allait devoir trouver des informations sur une personne en particulier, ou si à l'inverse la femme souhaitait profiter que tout le monde soit rassemblé pour qu'il visite les chambres de certains invités.


Codage bidouillé par Ez'
Des questions enthousiastes… Quelle fraîcheur de vivre malgré un passé pas rose. Cet enthousiasme restera t’il quand il apprendra ce qu’il doit faire…

« - Jeune homme, ce soir, en apparence, tu feras ce que l’on te dit de faire…. Par contre, tu utiliseras tes sens du mieux possible qui avec ton cerveau et tes réflexions te permettront de t’essayer à l’espionnage « passif ». Passif parce que tu ne chercheras pas à trouver des informations, mais tu laisseras l’environnement te les apporter pour te permettre de les analyser. Au final, tu n’auras qu’à garder cette bouille d’ange la plus affable possible sans laisser transparaître tes émotions. »

Je m’approchais légèrement avant le mot « bouille » pour lui attraper doucement les joues, comme on le ferait d’un enfant. Le relâchant rapidement, je reculais dans mon fauteuil avant de reprendre.

« - Tous les présents, qu’ils soient ou non de la Maison hôte, ont des choses à cacher ou qu’ils veulent. Tu ne sauras pas leurs besoins immédiatement, mais après plusieurs fêtes et quelques entretiens privés, tu pourras peut-être apercevoir un dessein… Toi ou ton maître, qui aura d’autres informations supplémentaires. »

Je m’installais confortablement en sirotant mon thé.

« - Tu es ici pour apprendre à espionner, je n’attends rien de toi. Mais ton maître oui, il attend de toi que tu apprennes de moi pour mieux le servir. Personnellement, j’ai été payé pour te faire former, je le ferais comme je l’ai fait et continuerais de le faire avec Myra ici présente. »

Je reposais doucement la tasse sur la table basse avant de le regarder dans les yeux avec un regard froid et neutre du mercenaire.

« - Au présent, tu es mon élève, mais dans un futur possible, tu peux être amené à être mon « ennemi ». Ne t’attends donc pas à avoir des faveurs à ce moment-là. Les intrigues mettent en jeu des factions que change tout le temps. La rancune amène des faiblesses, surtout parce que cela se sait et que cela peut prédire tes futures actions ou réactions. »

Me détendant, je repris ma tasse avant de désigner d’un léger mouvement Myra.

« - Cette jeune femme est une des novices de ma « Maison » Je la forme pour qu’elle soit mes oreilles et mes yeux dans certains endroits. Et pour en revenir aux deux fois dont tu as sursauté, toute la pièce est une mise en scène, même les moments où je parle. L’ombre dissimule facilement une personne immobile. La présence d’une diversion peut rendre sourd ou aveugle à d’autres faits. Tu n’as pas entendu la porte parce que je te parlais à ce moment-là. Comme tu n’as pas cherché dans les ombres quand tu m’as aperçu au centre de la pièce. »

Je voulais qu’il comprenne que des mises en scène ou des positionnements précis pouvaient être autant d’indications que les fait et actions faites au grand jour…. Que je déteste cette expression.

« - Tout peut être sujet à interprétation, ou non… Si tu cherches tous les détails tout le temps, tu ne pourras tenir longtemps et tu deviendras paranoïaque. Il faut juste que tu sache que c’est possible et facilement faisable. »

Estimant l’avancement du temps avec les bruits ambiants, je me levais après avoir posé ma tasse vide.

« - Le temps avance et il faut que tout le monde se prépare pour la soirée. Je te laisse réfléchir à ce que je t’ai dit. Sache que tu peux aussi converser avec Myra. Je ne pense pas qu’elle rechigne à t’aider. »

« - Non, cela ne posera pas de problème. À part s’il trouve que parler à des prostitués soit inadapté à sa condition. »

Je ricanais doucement avant de répondre en récupérant le masque.

« - Oui, mais dans ce cas, il devra avoir les mêmes réactions avec moi... »

Je mis correctement le masque, cachant mes oreilles par la même occasion avant me diriger vers les rideaux que je tirais progressivement, laissant la lumière de l’après-midi entrer dans la pièce, la parant de couleurs vives. Myra, quant à elle, commença à rassembler la vaisselle pour la ramener en cuisine.



Garder cette bouille d'ange la plus affable possible sans laisser transparaître tes émotions.

Pour un peu, Chance en aurait ri. Enfin, s'il le fit intérieurement, il n'en laissa rien paraître, et c'était là que reposait toute l'ironie. C'était justement un jeu auquel il se livrait depuis des années maintenant. Se contenter de sourire, faire semblant d'être heureux de son sort. Garder pour lui toutes les douleurs, toutes les colères, toutes les atroces inégalités qui lui sautaient aux yeux, et toujours s'obliger à incurver les lèvres, à s'effacer devant les plus puissants, à laisser croire que leur domination était pour lui un réel plaisir... Faire de son mieux pour sembler naïf et innocent, laisser penser qu'il ne pourrait jamais être une menace... Oui, c'était définitivement dans ses cordes. Le pincement des doigts de maître Sîn sur ses joues lui fit cependant vite perdre le fil de ses pensées. Il se raidit, incapable d'empêcher son corps de réagir par réflexe à un contact auquel il ne s'était pas préparé. Mais il sourit. Cela ne tromperait certainement pas la femme, mais face à ceux qu'il devait espionner ce soir, cela devrait s'avérer suffisant. Elle le relâcha cependant vite pour se rasseoir correctement et il se détendit de nouveau alors qu'elle poursuivait ses explications. Chance hocha la tête, les propos de maître Sîn confirmant ce qu'il supposait sans y avoir jamais vraiment mis de mots. Chacun avait ses points faibles – peur, envie, cela variait selon les individus et leur morale – et son travail consisterait à les trouver.

Les indications suivantes cependant furent beaucoup plus froides. Maître Sîn lui dispenserait ses savoirs et l'entraînerait, mais il n'y aurait jamais rien d'autre. Aucun attachement, aucune reconnaissance. Peut-être même auraient-ils à s'affronter d'après elle. Chance s'afficha légèrement triste, gêné, mais approuva néanmoins. En réalité, celui lui convenait parfaitement. Ainsi donc, il ne lui devrait rien et ne serait pas forcé de lui faire confiance. Malheureusement, cela signifiait aussi que la femme serait toujours sur ses gardes face à lui, car elle serait la plus à même de savoir ce dont il serait capable. Sur cette base, ils se livreraient sûrement toujours à une sorte de danse de semi-vérités pour tenter d'obtenir les informations glanées par l'autre sans révéler les siennes. Parce que même s'ils se proposaient un accord, pour sa part Chance craindrait toujours qu'elle ne tente de le doubler. En tout cas, c'était ce que lui tenterait de faire. Quand il en aurait les capacités...

La rancune, cela était un autre problème. Il se répéta intérieurement la mise en garde de maître Sîn, essayant de la graver dans son esprit. Oh, il n'en voudrait pas à un informateur, c'était un métier comme un autre après tout. Ceux qu'il tenait pour responsables, c'étaient ceux qui avaient le pouvoir et l'utilisaient à leurs fins personnelles. Et si Chance se mettait l'une de ces personnes à dos, il pouvait être sûr que sa vie allait devenir un enfer. Jamais, ô grand jamais, il ne devrait se faire remarquer. Mais en ayant une cible particulière, ses actions, comme le disait maître Sîn, seraient prévisibles. Un informateur qui se contentait d'agir sur commandes n'avait certainement pas ce genre de problème. Alors il allait falloir qu'il fasse semblant de n'être qu'un outil, une fois encore.

Maître Sîn désigna la femme qui l'accompagnait, Myra, l'une de ses apprenties, ou novices. Chance se demanda ce qu'elle appelait sa maison – avec une telle énonciation, il devait s'agir d'autre chose que d'une simple demeure. Cela semblait plus quelque chose comme un clan ou une famille, au sens utilitaire du terme plus qu'affectif – il ne prit cependant pas la peine de l'interrompre pour cela. Ce serait toujours une question qu'il pourrait poser plus tard. Il écouta plutôt avec attention ses indications, comment un lieu lui-même pouvait dissimuler des personnes et des informations. Comment se focaliser sur un détail pouvait empêcher d'aviser la situation dans son ensemble. Comment essayer de tout savoir relevait de l'impossible et que s'inquiéter tout le temps de ce qu'il pouvait manquer pourrait finir par le rendre fou. C'étaient beaucoup de choses à prendre en compte, et il lui faudrait sûrement du temps pour s'y faire.

Maître Sîn termina sa boisson et se leva, et Chance l'imita aussitôt. Elle lui donna congé, lui indiquant néanmoins qu'il ne devait pas hésiter à discuter avec Myra, qui serait à n'en pas douter elle-aussi une bonne source d'enseignement. La réponse de l'apprentie, amusée, lui tira un nouveau sourire dissimulant gêne et moquerie. Des prostituées également ? Comment pouvaient-elles permettre cela avec les talents qu'elles possédaient ? Pourvu quand même que cela ne fasse pas partie de sa formation. Il ne parvenait même pas à s'imaginer la chose, à chaque fois son esprit lui rappelait cette nuit là. Cette unique nuit, qu'il avait finalement passé à chasser des grains de sable entre les lames d'un parquet. Alors la prostitution ? Pas pour lui. Quant aux deux femmes, si là était leur choix... La mention à sa condition, elle, l'amusa. Chance ne se considérait pas noble. Ces gens représentaient tout ce qu'il méprisait. Lui, il n'était rien d'autre que lui, et actuellement un esclave. Alors quand bien même maître Sîn et Myra étaient des prostituées, leur condition restait supérieure à la sienne. Au moins elles étaient libres, et payées.

- Je vous remercie, maître Myra. Je compte sur vous pour me conseiller et m'indiquer mes erreurs, répondit-il, avant de s'adresser aux deux femmes. Je vais à présent aller me préparer moi-aussi, nous nous reverrons au dîner, et après pour un compte-rendu je suppose.

Il s'inclina légèrement, et alors que maître Sîn ouvrait les rideaux, il observa avec une légère curiosité le masque qu'elle avait placé sur son visage. Il ne posa cependant pas de question, se contentant de prendre congé pour le moment.

***

Près d'une heure plus tard, il se retrouvait au milieu de la foule des invités réunis dans un grand salon. Chacun rivalisait d'élégance et de richesse, offrant un étrange contraste avec la pierre brute de la demeure qui transparaissait parfois entre les décors ordonnés par maître Shaol. Chance avait revêtu sa tunique brodée d'or, encore une fois. Il commençait à se demander s'il ne devrait pas prier son maître de lui accorder une garde-robe plus fournie. Les modes changeaient vite chez les nobles. Mais il verrait cela plus tard, pour l'instant il avait bien autre chose à penser. Un sourire aux lèvres, il traversa lentement la salle, essayant de mettre des noms sur les visages. Il y avait du monde, et les conversations s'entremêlaient les unes aux autres dans un capharnaüm invraisemblable. Il était plus dur qu'il ne l'avait pensé de tenter de se focaliser sur une conversation, sans pour autant s'arrêter d'avancer. S'il s'immobilisait à côté d'un groupe, il aurait bien vite été repéré. Et il ne pouvait guère s'approcher d'un groupe ou d'un autre sans raison. Il avait envie de chercher maître Sîn et Myra du regard, mais se retint de le faire. Ici en tant qu'esclave, il n'était pas censé attendre quelqu'un de particulier. Il se dirigea plutôt vers un grand buffet, admirant les petits fours, entremets et autres pâtisseries salées et sucrées devant lesquels certains trouvaient encore à faire la fine bouche. Il profita de faire semblant de choisir quelque chose pour traîner un peu à portée de ceux qui venaient se servir, se sentant rapidement déçu en ne percevant que quelques bribes de critiques gastronomiques. Quelque part, il se rendit compte qu'il était évident que tout le monde n'allait pas parler de complot à tout bout de champ, mais cela lui fit réaliser à quel point l'espionnage risquait d'être long et fastidieux. Qu'en avait-il à faire que le marquis de Valtaria préféra les crus du duché des Démétrius plutôt que le champagne ? Ou que la femme du frère du comte d'Oregan refuse de goûter les croquantes aux pistaches ? Masquant de son mieux son agacement, Chance observa la salle, voyant peu à peu les nobles former divers groupes, certains près d'une estrade où jouaient quelques musiciens, d'autres se répartissant dans la salle, les derniers encore s'échappant vers l'un des balcons. Il ne pouvait pas juste rester immobile ici ou se balader sans raison au milieu de tout ça. Il avisa alors les serveurs qui passaient au milieu de la foule avec leurs plateaux pour distribuer nourriture et boissons et auxquels personne ne prêtait attention. Chance se dirigea alors vers la porte de service, quittant quelques instants la réception pour aller se munir de l'attirail nécessaire. Quelques instants plus tard, il était de retour, un plateau en équilibre sur une main, et s'avança vers le groupe le plus proche.


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