Syrinx de Fensalir
NAISSANCE : 313
MORT : 389
ÂGE : 76 ans
RACE : dryade
ARBRE TOTEM : If
Automne 373
« Le grondement chaotique de la cité résonne à ses oreilles comme le vol d'un bourdon, erratique mais sans le côté apaisant. C'est loin d'être sa première venue en la capitale mais plus les années passent et plus Syrinx se sent étrangère à une telle concentration d'agitation. Oh, elle apprécie Lelanaserine, son ouverture et sa culture, mais à chaque fois qu'elle s'y rend elle s'y sent comme un peu plus étrangère, un peu plus éloignée. Les bruits, les odeurs, les cris. Partout la foule et le mouvement incessant d'un va et vient sans début ni fin. Tout ceci la laisse sceptique, parfois nerveuse ou un peu mal à l'aise. À force de fréquenter les siens elle en oublie presque l'existence d'autres que les dryades et les elfes. Elle ressent les choses de la vie, elle ressent la forêt. En ce lieu, il n'en est presque rien, et seul le murmure tout juste audible des arbres d'agrément, ici et là, lui susurrent à l'oreille. Dans la ville, les rues sont étroites et de pierre, pittoresques, et bien que cela ait son charme, elle marque une nette préférence pour les espaces sauvages et indomptés, sans maîtres, où ne chantent que le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été, des oiseaux et le froissement du vent dans les arbres.
Et parfois la percussion brutale et répétitive d'une arme automatique qui abat l'une des leurs, violant le calme serein qui règne sur le royaume de l'est.
C'est pour ça que c'est important pour elle de venir de temps en temps. Pour savoir pourquoi elle se bat. Pour se rappeler que la vie fourmille et que, quelque part, son combat n'est pas vain. Quand sa volonté vacille, elle vient trouver refuge dans la ville, pour voir tous ces visages inconscients du drame qui se joue aux frontières, de la lente mais inexorable extinction de leur espèce. Elle ne leur en veut pas. Elle essaie, mais certaines nuits elle sent monter en elle le cri d'une impuissance terrible, un quelque chose qui la perturbe et la rend folle, une colère primordiale qui monte et ravage, détruit tout sans distinction. Une constatation cruelle qui s'étale sur plusieurs vies et qu'elle redécouvre une fois de plus aujourd'hui : ce qu'elle avait juré de protéger voilà des siècles, peut être plus, se délite un peu plus à chaque vie.
Et tandis que l'automne bat son plein, que se termine la saison de Terraris pour bientôt laisser place à celle du redouté Obscural, elle sent cette colère qui s'installe, farouche, et qui en appelle à l'éveil du dieu cornu. Voici venu le temps du déclin avant le froid, le temps d'organiser une gigantesque et dernière chasse avant l'engourdissement de l'hiver. Une offrande pour abreuver la terre du sang et de la force vitale des ennemis. Pour que les racines se nourrissent des cadavres encore chauds. Son humeur change, subtilement, avec les saisons, et elle a conscience que ça l'influe parfois beaucoup plus profondément que ce qu'elle ne veut admettre. Elle est encore jeune et il lui a manqué de temps pour apprendre à apprivoiser tout ceci, mais face à ce massacre méthodique et organisé, qui ronge doucement les enfants de terraris, elle risque de perdre pied tôt ou tard, si ce n'est dans cette vie dans une future. Les rumeurs parlent de la disparition presque totale des forêts d'Ellgard, et cette possibilité la terrifie. Elle est presque sûr que s'y rendre et entendre l'agonie de la terre la changerait à jamais.
Et c'est aussi pour ça qu'elle s'en vient aujourd'hui à Lelanaserine. Sa venue est prédictible, bien que toujours incertaine, mais les célébrations de l'automne sont imminentes et elle s'en vient voir son amie de toujours, Cérès. Sa présence est comme un baume, le cataplasme apaisant qui endort la colère tapie en elle. Elle ne l'a pas prévenue, elle ne la prévient presque jamais, et elle se dirige vers le temple de Terraris, lieu de lumière en ces temps troublés, dans lequel elle sait que ne résonne plus qu'une foi sans réponse mais qui la réchauffe néanmoins. Elle s'y sent bien, c'est tout. Marchant dans la rue, les regards se tournent vers elle, la dévisagent. Son allure est atypique, sauvage, mais ce qui marque le plus ce sont ces cornes et ces oreilles d'animal. La couleur d'une peau qui tire vers l'écorce et une chevelure rousse s'étant assombrie avec l'automne, emmêlée de feuilles et de brindilles. Outre un sac de voyage, elle porte un arc dans le dos et une lance à la main. D'aucun peuvent la prendre pour un démon, d'autre pour une créature étrange et barbare. Certains l'auront peut-être reconnue et compris qu'il s'agit de l'être à qui les hommes de Nueva ont donné de nombreux noms. Toujours est-il qu'elle attire l'attention, mais elle marche prestement jusqu'à sa destination. Habituellement elle préfère garder l'allure de dryade qui est la sienne, ce qui est plus sûr, mais en ces temps de troubles elle n'a pas envie de se cacher. Elle veut afficher fièrement ce qu'elle est, que tous puissent contempler ces vestiges qui se meurent et qui un jour auront définitivement disparus dans ce qu'elle estime, malheureusement, une vie ou deux.
Parvenue aux pieds du temple, elle s'arrête un instant pour le contempler. Il est toujours là, de pierre et de bois, dans une modestie toute majestueuse et pleine de vie. Les ronces qui grimpent le long de la façade lui laissent un frisson le long de son échine. Elle reconnaît cette vitalité, le murmure chatoyant de Cérès qu'elle salue en silence. Elle a peur qu'un jour elle ne revienne et que tout ceci ait disparu.
Elle grimpe les quelques marches qui mènent à l'entrée, dont les portes sont ouvertes pour accueillir les croyants, et ralentit quelque peu l'allure au moment de passer le seuil. Un sentiment de solennité qui l'assaille, une chose qu'il lui semble avoir fait des milliers de fois, et les lieux résonnent en elle, son agitation s'éparpillant contre l'impression de sérénité que dégagent l'endroit. En silence elle admire les fresques et les statues, ignorant les autres personnes présentes venues par curiosité ou par habitude. Elle prend un peu de temps, quelques instants, quelques minutes, pour sentir tout le poids d'un âge indéterminé sur ses épaules. Elle a officié plusieurs fois en tant que prêtresse, dans d'autres vies, régulièrement. Elle le sait, intimement à l'intérieur, et aussi parce qu'elle l'a vu en flash dans les visions de Lúthien. Et ces lieux, toujours, imposent à son âme comme une quiétude pleine de douceur.
Elle avance ainsi jusqu'à parvenir devant l'autel, restant toutefois un peu en retrait. Une certaine nostalgie l'étreint tandis qu'elle se demande, sincèrement, si les dieux reviendront un jour, avec l'espoir de ceux qui croient, mais qui pourtant n'est pas sans être teinté d'un peu d'amer. Elle se défait de ses pensées, au bout d'un temps, et se met en quête de la silhouette familière de Cérès, avec l'espoir impatient de la trouver ici, craignant qu'elle ne soit à l'université ou n'importe quel autre endroit de politique qui n'aurait fait que retarder ces retrouvailles auxquelles elle n'a cessé de penser depuis plusieurs semaines maintenant. »