Sometimes, even your eyes will betray you ; But your instincts can never lie.
Le soleil commençait déjà à se rapprocher de l'horizon, annonçant la fin d'une autre journée entière passée dans un chariot de transport, à contourner un lac. La température avait été agréable pour la majeure partie du voyage, mais l'humidité se faisait de plus en plus pesante et le vent devenait de plus en plus froid et fort, présage d'un orage. Eleanor se changeait les idées en fouillant inlassablement dans ses notes, avant d'en écrire d'autres dans ses nombreux bouquins. Alors qu'elle écrivait furieusement sur une nouvelle page, elle pu entendre le septième soupire de l'heure. La voyante leva les yeux tout en ajustant sa capuche, pour fixer son garde du corps avec une expression à la fois énervée et froide. Celui-ci remarqua son regard glacial et se sentit attaqué, se croyant obligé de justifier son exaspération de vive voix :
- Quoi encore ? D'abord, je n'ai pas le droit de chanter, puis je n'ai pas le droit de siffler, ensuite je n'ai pas le droit de taper du pied... Maintenant je n'ai même pas le droit de soupirer ? Si j'avais su que je me faisais engager par un tyran, je n'aurais jamais accepté cette offre !
- Tu es un garde du corps. Pas un barde. Maintenant, silence.
Ne souhaitant pas se prendre une autre baisse de salaire, le garde du corps ne répondit plus rien et Eleanor pu se remettre au travail... Mais à peine venait-elle de retrouver son train de pensées que le cocher brisa le silence à nouveau, la faisant soupirer à son tour alors que le jeune homme qui l'accompagnait ne put s'empêcher d'étirer un sourire amusé.
- Village en vue, je vais m'y arrêter pour refaire mes provisions et laisser les bêtes se reposer !
Tout semblait aller contre elle, décidément. Toujours de mauvaise humeur, l'All'Ombra rangea ses notes dans son sac et se contenta d'observer le ciel à travers sa capuche, laissant son garde s'occuper du reste jusqu'à leur arrivée au village. Elle paya ce qu'elle devait au propriétaire du charriot, qui en profita pour lui annoncer que l'arrêt allait durer au moins trois jours, ce qui ne l'aida pas du tout à retrouver un semblant de joie.
Le village où les voyageurs s'étaient arrêté était l'un des derniers à l'intérieur de Nueva sur le chemin d'Ellgard et, contre toute attente, c'était la première fois que la voyante s'y retrouvait, puisqu'elle avait décidé de changer de trajet pour un détour à la dernière minute. Ce village semblait se spécialiser sur les produits de la pêche, vu leur proximité aux lacs, et sur les produits de la forêt. Rien de bien surprenant... Mais quelque chose ne tournait pas rond. Le duo avait beau se trouver en plein centre du marché près du port, celui-ci était anormalement vide et silencieux. Le soleil était presque couché et le ciel devenait de plus en plus sombre, mais normalement à cette heure, il était encore possible de voir des habitants faire leurs courses de dernière minute avant de rentrer chez eux. Son garde du corps ne semblait pas apprécier cette ambiance et décida de s'arrêter au stand d'un des derniers marchands encore présent sur place, bien qu'il semblait être en train de fermer boutique, puisqu'il était très concentré à compter ses pièces. Eleanor fut forcée d'attendre qu'il ait terminé pour que son employé puisse avoir son attention. Le marchand leva les yeux vers eux et son expression passa de fatiguée à surprise.
- Des... visiteurs ?
- Bonsoir. Mon nom est Stephen Reyes, je suis le garde du corps de la dame ici-présente. Je me demandais, comment ce fait-il que l'endroit soit si... Désert ?
- ...Vous voulez passer la nuit ici ?
- Eh bien... Oui, mais je voudrais savoir pou...
- Non, non, non ! Vous ne pouvez pas rester ici !
- ... Excusez-moi ? Pourquoi donc ?
- Ce village est très dangereux de nuit ! Tout le monde se réfugie chez eux ! Vous devriez faire demi-tour et en faire de même !
Sur ces paroles, le marchand ramassa ses affaires et ferma l'accès à son stand, avant de sortir sur le côté et de tout verrouiller. Il plaça maladroitement son chapeau sur sa tête et regarda Stephen une dernière fois avec un air paniqué.
- Il y a une auberge par là, mais plus personne n'y va ! Rentrez-chez vous !
Il quitta finalement l'endroit dans la direction opposée, laissant le garde du corps abasourdi et sans réponse à ses nouvelles questions. Il se tourna lentement vers Eleanor, qui se contenta de lui jeter un autre regard noir avant de se diriger vers l'auberge mentionnée par l'homme effrayé. Son employé repris leurs bagages et marcha à son rythme. Le silence pesant faisait règne dans le marché alors que le ciel devenait de plus en plus sombre et que la lune se faisait cacher par des nuages lourds de pluie. La brise était froide et transportait l'odeur salée de l'océan non-loin. Eleanor prit une pause en s'appuyant sur sa canne, observant les environs. Plus ils se rapprochaient du port, plus il était possible de remarquer certains détails pour le moins étranges. Les fenêtres étaient toutes barricadées et les lumières étaient éteintes, ce qui rendait les rues incroyablement sombres. Il n'y avait plus personne dans les rues, pas même de chat errant ou de bestioles nocturnes. Il n'était possible d'entendre que les vagues s'écrasant sur le quai et le son de leurs pas qui faisaient grincer les vieilles planches du port. L'auberge se trouvait juste à côté de l'eau, le bord étant protégé par une clôture à l'allure fragile. Comme si la situation n'était pas déjà assez désagréable. Au moins, l'eau ne semblait pas être trop profonde.
Stephen alla ouvrir la porte, heureux de voir que celle-ci n'avait pas encore été verrouillée. Ils entrèrent juste à temps, puisque la pluie commençait à tomber. L'intérieur de l'auberge semblait parfaitement normal, mis à part l'absence flagrante de clientèle. L'aubergiste semblait très surpris de voir des visiteurs entrer à cette heure et les accueillit maladroitement. Il hésita un peu et s'approcha de Stephen pour lui serrer la main. Grand, barbu, il semblait tout aussi fatigué que le marchand : même sa voix semblait être vide.
- Ah, bienvenue. Vous... Vous venez passer la nuit ici ?
- Oui, si possible. Avez-vous toujours des chambres de libres ?
- B-Bien sûr, elles le sont toutes !
Réalisant qu'il n'aurait probablement pas dû dire ça, il se racla la gorge et leur fit signe de s'approcher du comptoir pour leur donner leur clé. Apparemment, les clients étaient tellement rares que l'aubergiste offrait la première nuit gratuitement. Stephen semblait être de plus en plus bouleversé. L'aubergiste les guida à leurs chambres et leur montra comment les déverrouiller avant de leur demander de bien vouloir les verrouiller la nuit et de ne pas toucher aux fenêtres. Il n'en fallait pas plus à Eleanor pour entrer dans sa chambre. Stephen remercia l'aubergiste et ferma la porte comme demandé, puis alla déposer le sac de la voyante juste à côté du lit. Puis, il se contenta de fixer Eleanor, les sourcils froncés. Celle-ci venait tout juste de s'assoir sur le lit et elle attendit que son garde du corps prenne la parole, déposant sa canne et commençant à fouiller dans son sac pour ressortir ses notes. Stephen se décida enfin à briser le silence.
- Quelque chose cloche ici.
- Tiens, je n'avais pas remarqué.
- Je suis sérieux ! Les villageois sont terrifiés et nous ne savons toujours pas pourquoi !
- Épargne-moi ton discours. Va droit au but.
- Je... Bon, très bien. Je voudrais enquêter sur la cause de toutes ces craintes.
Eleanor cessa de farfouiller à travers ses notes et prit un moment pour fixer Stephen à travers sa capuche, son expression restant de marbre. Celui-ci tenta tant bien que mal de soutenir le regard pesant de sa patronne, tout en essayant sans succès de cacher son inconfort.
- Non.
- ... Quoi ? Mais pourquoi ?
- Dois-je te le rappeler à chaque fois ? Tu es un garde du corps. Pas un détective.
- Mais ces gens ont besoin d'aide !
Eleanor fit signe au jeune homme de quitter la pièce en lui pointant vaguement la porte. Stephen serra les poings et grimaça, resta sur place quelques secondes comme s'il se retenait de dire quelque chose qu'il regretterait plus tard, avant d'obéir sans rien ajouter. La voyante pu l'entendre fermer la porte de sa propre chambre, avant de finalement ne plus rien entendre mis à part le vent à l'extérieur, le son étouffé des vagues et de la pluie, et les craquements subtils des murs et du sol en réaction aux éléments qui semblaient de plus en plus violents. Eleanor baissa sa capuche et se débarrassa de son manteau, qu'elle accrocha à la tête de son lit, puis pu enfin reprendre son travail. Les heures passèrent, laissant la nuit s'installer doucement, la pluie se calmer progressivement et la fatigue s'emparer de chacun de ses muscles malmenés par la voyage en chariot, au point où écrire devenait un effort considérable. Eleanor abandonna lorsqu'elle dû se rendre à l'évidence qu'elle n'arrivait plus à trouver de position confortable. Elle commença à déposer ses livres un par un sur la table de nuit, avant de fouiller encore un peu dans son sac... Et de réaliser qu'elle avait épuisé toutes ses réserves de nourriture. Elle marmonna un juron et leva les yeux vers sa porte.
Pas le choix.
L'All'Ombra s'empara de son manteau qu'elle enfila partiellement, remettant sa capuche et prenant sa canne avant de sortir du lit et de se diriger vers la porte, clé en main. Ses genoux n'étaient pas d'accord, mais son estomac était un excellent motivateur. Elle sortit hors de sa chambre, verrouilla, atteignit la porte de Stephen... Hésita un instant... Puis toqua doucement à la porte, qui s'ouvrit presque immédiatement sur Stephen, qui semblait s'attendre à avoir la visite de l'aubergiste puisqu'il dû baisser les yeux pour remarquer la présence de sa patronne. Son expression passa de la confusion à l'exaspération.
- Je me disais bien que l'aubergiste n'avait pas l'air du genre à toquer aussi imperceptiblement sur une porte... Qu'est-ce que tu veux ?
- À manger.
Le garde du corps resta silencieux et son expression s'adoucit quelque peu. Puis, il s'écarta de l'entrée et ouvrit la porte pour inviter le tyran qui lui servait d'employeur à entrer, mais lui fit comprendre son mécontentement d'un grognement.
- Je ne vais tout de même pas te laisser mourir de faim.
Eleanor, satisfaite, entra dans la pièce et laissa son garde fermer et verrouiller sa porte. Il eut le temps de se rendre à son sac et de se mettre à sortir ses provisions avant même que la voyante n'arrive à atteindre la chaise la plus proche, placée juste à côté d'un bureau. Le simple fait de s'assoir fut tellement libérateur pour ses pauvres genoux que ce ne fut qu'après un long soupir que Eleanor se rendit compte qu'elle avait retenu son souffle depuis que Stephen l'avait laissée entrer. Celui-ci prit place à son bureau, partageant le coin du meuble avec elle pour y déposer une assiette en bois contenant des fruits et des... Biscuits ? Ils semblaient faits maison. Le jeune homme avait même des choppes dans son sac de voyage, en donnant une à la voyante, qu'il remplit d'eau provenant de sa gourde avant de briser le silence d'un ton très sarcastique.
- J'ose espérer que ces modestes provisions te seront suffisantes.
Eleanor préféra ne rien répondre et choisis quelques fruits avec soin avant de commencer à les manger. Il ne lui en fallu pas beaucoup pour combler son appétit : elle ne vida même pas sa choppe. Stephen voulu boire le reste, mais Eleanor le lui interdit, lui expliquant vaguement qu'elle la terminerait plus tard. Le garde choisit de ne rien ajouter et se leva lorsqu'il vit que la voyante avait repris sa canne. Il l'aida à se relever et la raccompagna à sa chambre.
Il n'en fallait pas plus à Eleanor pour se décider à se mettre au lit. Elle retira son manteau et ses bijoux, libéra ses cheveux, échangea sa tenue pour sa robe de nuit et se glissa sous les couvertures épaisses et lourdes. Presque instantanément, son esprit commençant à flotter vers le monde des rêves, la réalité s'effaçant peu à peu, ses pensées devenant de moins en moins cohérentes. Elle pouvait entendre l'écho de ce qui semblait être la voix puissante d'Evelyn en pleine performance d'Opéra. Elle voyait des gouttes de pluie s'écraser sur un sol plongé dans la pénombre et tout juste alors qu'elle allait s'endormir profondément, l'écho de la voix d'Evelyn se rapprocha, se transformant en hurlement inhumain, assourdissant et...
Eleanor eut l'impression de tomber et d'atterrir dans son lit, la faisant sursauter et ouvrir les yeux sous l'impact. Elle se redressa, hors d'haleine, son cœur battant à la chamade et ses sens en alerte, alors que l'effroyable cri s'estompait...
Stephen se fit réveiller par le son de sa porte se faisant malmener. Alarmé, il sauta hors du lit et déverrouilla sa porte le plus vite possible avant de l'ouvrir et de se stopper lorsqu'il vit la silhouette encapuchonnée d'Eleanor. Il n'eut même pas le temps de dire quoi que ce soit, puisque la voyante lui coupa l'herbe sous le pied :
- Habille-toi et prépare-toi. Tu as cinq minutes.
Elle attendit dans le couloir le temps que son garde du corps ne s'exécute, jusqu'à ce qu'il ne ressorte de sa chambre, habillé et armé, mais toujours très confus. Il ajusta ses gants en marchant dans le couloir, en profitant pour poser ses questions :
- Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Où veux-tu aller et pourquoi ?
Eleanor s'arrêta dans le hall de l'auberge et pointa discrètement l'aubergiste, qui se tenait toujours à son comptoir, dans le noir, fixant la porte, mais cette fois, il tenait une énorme hache et semblait s'y agripper comme si sa vie en dépendait. Eleanor murmura à son garde d'aller lui poser des questions et le jeune homme s'exécuta avec prudence. Il s'approcha doucement et se racla la gorge pour annoncer sa présence. L'aubergiste sursauta, se mit en garde et se corrigea dès qu'il remarqua qu'il ne s'agissait que de ses clients.
- Ah ! Ouf ! J'ai eu peur... Qu'est-ce que vous faites encore debout en plein milieu de la nuit ?
- Hum... Eh bien... Je n'arrivais pas à me sortir certaines rumeurs de la tête et... Je voulais vous poser des questions... ?
L'aubergiste hésita, puis soupira avant de s'assoir sur sa chaise et de rapprocher son arme, ne semblant pas vouloir la lâcher.
- Alors vous savez...
Eleanor s'approcha et le propriétaire du bâtiment leur fit signe de s'assoir de leur côté du comptoir, puis de s'approcher avant de se mettre à parler tout bas.
- Tous les soirs. Tous les soirs, ce satané monstre vient hanter nos rues, s'infiltre un peu partout et détruit tout sur son passage. Les gens sont terrorisés ! Plus personne ne sort, vous êtes mes premiers clients depuis des semaines... Les gardes n'ont rien pu faire. Ils nous ont abandonnés... Je n'ai pas dormi depuis trois jours. J-J-Je ne sais plus quoi faire, je...
- Si vous voulez... Nous pourrions monter la garde pour vous.
Les yeux de l'aubergiste s'illuminèrent et sa poigne sembla se détendre alors que la tension dans ses épaules diminuait légèrement.
- Vous feriez ça... ?
- Ne vous inquiétez pas, je m'occupe de tout. Protéger les gens est mon métier.
Un métier bien tranquille, jusqu'à maintenant. L'aubergiste laissa finalement tomber sa hache et serra vigoureusement la main de Stephen.
- Oh merci ! Merci infiniment ! Juste... Ne faites rien de dangereux et surtout, restez à l'intérieur !
Stephen hocha la tête, Eleanor refusa de lui serrer la main et l'homme s'empara de son trousseau de clés et ne perdit pas plus de temps, allant retrouver sa chambre à l'étage au-dessus. Stephen se tourna vers la voyante, pouvant enfin poser la question qui lui brûlait les lèvres :
- Tu as changé d'idée... ?
Eleanor tourna à peine la tête vers lui. Elle ne voulait pas l'admettre, mais il avait eut raison. Depuis leur arrivée. Quelque chose clochait très sérieusement et sa prémonition ne l'avait pas poussée à se lever sans aucune raison. Cette histoire de monstre avait activé une alarme quelque part dans son instinct et l'ignorer était complètement illogique. Eleanor s'approcha de la porte et Stephen ne tarda pas à la rejoindre.
- Tu veux aller dehors ? Par tous les... Tu es tombée et tu t'es cogné la tête pour avoir changé d'avis à ce point ?
- Silence. Ouvre la porte.
Stephen retira la lourde planche de bois bloquant l'accès à la porte, l'ouvrit, laissa la voyante passer, puis referma la porte. À l'extérieur, tout était complètement noir. La pluie avait cessée et le vent s'était calmé, ne laissant plus qu'un épais brouillard comme preuve de leur passage. L'atmosphère était glaciale et le son des vagues n'était plus qu'un petit clapotis à peine audible. Le silence occupait absolument tout le reste, si pesant qu'il semblait écrasant. Stephen n'avait qu'à chuchoter pour se faire entendre.
- Et maintenant ?
Eleanor fit signe à son garde du corps de la suivre. Son mal de genoux avait eu le temps de s'atténuer, alors la marche n'était pas vraiment un problème. Elle se dirigea jusqu'au grand quai et s'arrêta juste en face. Il était assez long et plusieurs barques étaient attachées sur ses poutres, mais le brouillard était trop épais pour qu'il soit possible d'en voir le bout. Stephen s'appuya sur le coin de la clôture, observant le lac engloutis par la purée de pois, sans comprendre pourquoi sa patronne s'était arrêtée à cet endroit en particulier. Il voulut dire quelque chose, mais Eleanor lui fit signe de s'arrêter, avant de s'avancer doucement en plissant les yeux. Stephen sentit son cœur s'accélérer lorsqu'il compris qu'elle avait vu quelque chose. Avec toute la prudence qu'il lui était possible de prendre, il dégaina son épée très lentement, limitant le son de sa lame à un minimum, pourtant toujours facile à entendre à travers le silence. Le garde se concentra. Puis, il cru voir quelque chose bouger à travers la brume. Une ombre qui flottait... ? Un frisson parcouru sa colonne vertébrale lorsqu'il entendit les paroles d'Eleanor.
- Il arrive.
ft. ✧ Aerith Faalenas