L’ondée la surprit, alors qu’elle cueillait non sans mal les rares champignons sur une souche d’arbre abattu quelques années plus tôt par un orage. Elle releva le nez, accueillant les fines gouttes sur le visage. Son labeur n’était pas encore terminé qu’un petit animal tomba dans son panier. Aperçu du coin de l’œil, elle y découvrit un mulot à l’agonie. L’animal venait d’être lâché par son prédateur, au grand dam d’un duc étourdi, qui observa d’un œil curieux Jasmine. Rapidement, l’all’ombra dégagea l’animal de ses champignons et le déposa juste à côté d’elle. Son ombre le protégea de l’intention du rapace et quand elle en eut fini après cette courte pluie, elle se releva et partit.
Elle retrouva bien vite le sentier qu’elle avait quitté deux heures plus tôt, longeant un chemin bordé par des arbrisseaux. L'eau avait soulevé l’odeur des humus âpres et des rares pins, mêlant sève et décomposition. L’ombre avança dans le décor d’émeraude. Toute sa tenue laissait deviner qu’elle ne manifestait aucune envie d’être aperçu ; une longue cape abîmée par le temps couvrait son chef et son corps jusqu’à traîner au sol, ramenant avec elle feuilles mortes et brindilles, qu’elle se contenterait plus tard de nettoyer. Bien vite, les arbres s’espacèrent, la limite du monde des hommes et de la forêt naissait. En contre-bas de la vallée qui s’offrait à sa vue d’azur, Jasmine pouvait clairement voir la tête des chaumières et des bâtisses récents que la météo finirait par ronger un jour. Elle continua la traversée, mettant à rude épreuve un court instant ses pieds pour éviter des pierres aussi grosses que les poings et gagna un pan du chemin beaucoup plus praticable.
La demeure dans laquelle elle habitait - une humble habitation d’un étage couverte de végétation, dont une écurie, qui épousait de surcroît la forme des hêtres l’entourant -, ne se trouvait pas loin du village, écartée tout de même par un petit bois et sa colline. De là où elle vivait, Jasmine entrapercevait les cimes de la forêt tracer l’horizon. Quelques croassements la surprirent. Un petit groupe de freux était apparu quelques jours plus tôt dans les parages, manifestement attirer par les graines de son potager. Arrivée à la hauteur de l’enclos, elle tenta en vain de chasser les bestioles qui revinrent dès qu’elle eut le dos tourné. Elle alla déposer le panier à l’intérieur de la pièce principale et sortit de l’autre côté. Quelques années de jardinage l’avait prévenu de trouver des solutions contre d’éventuels visiteurs indésirables et elle y trouva un épouvantail grossier cousu main qu’elle porta jusqu’au jardin. Un petit homme se tenait juste devant sa porte lorsqu’elle termina de faire son tour. Elle reconnut le fils de l’Ancien d’une communauté voisine qui la rejoint dès qu’il la vit.
« Laissez-moi vous aider Dame Argent à planter votre homme. » Devant la tête du pantin, le petit garçon rentrant dans la fleur de l’âge rit. Elle était une couturière aux prétentions rudimentaires.
« Ça ira. Je me débrouille, merci Cem. » Elle posa son bonhomme en paille et s’appuya contre lui, les manches retroussées, se servant du manche comme d’un troisième pied. « Dis à ton père que je viendrais le voir tout à l’heure. »
« Oh, non, il ne demande pas votre passage. Il tenait à vous remercier pour la dernière fois. » Le petit homme regarda autour de lui prestement, comme s’il venait d’avoir oublié quelque chose. Il revint sur ses pas pour trouver un panier en osier qu’il lui tendit. A l’intérieur se trouvait plusieurs sortes de courges et quelques fruits.
« Que Terraris vous nourrisse Dame Argent. » Elle accueillit le panier. « Grâce à votre don, il compte désormais se rendre à Lelanaserine. Il a compris. »
« Ce n’était qu’un mirage, Cem. » Le garçon ne comprit ni le mot ni la phrase, attendant visiblement une suite à cette annonce. N’ayant pas à cœur d’expliquer ce qu’une illusion était à l’ adolescent, puisqu’un épouvantail l’attendait, elle continua. « ... Rien. Remercie ton père pour le panier, je viendrais vous voir dès qu’il rentrera. »
« D’accord Dame Argent, je vais lui en faire part. Il m’a demandé de revenir d’ici deux jours pour le même panier. »
« Ne te fatigue pas à monter la colline. »
« J’ai des jambes solides vous savez ! »
Sur ces mots, Cem partit en courant tel un chien fou. Elle l’observa jusqu’à ce qu’il disparaisse de son champ de vision et elle retourna à son occupation. Une fois terminé, elle patienta. Les freux la considérèrent avec attention. Influencer un rêve était une chose, le rendre visuel une autre. Elle n'avait pas songé véritablement aux conséquences de son action la première fois. Cela avait commencé il y a seize ans, alors que l'Ancien du village près duquel elle vivait, lui avait demandé de le conseiller sur une voie à emprunter. Danijel Vertsan s'était vu éclairer, ses doutes avaient été dissipés et sa croyance résolue. L'information avait circulé dans les bourgs limitrophes et avait valu à l'all'ombra des passages et des présents fréquents. Elle avait déménagé une première fois et, en apercevant l'un des freux s'envoler, elle espéra - en réalisant - qu'il s'agissait bien de la dernière.
Le périple avait été long et fastidieux, la traversée de la frontière avait été semée d’embûches et nombre de dangers avait entravé le voyage des deux hères, conscients d'avoir rechapé au triste sort que nombre d'entre eux avait connu bien avant eux.
Gagner la verdoyante et luxuriante contrée Nuevienne n'avait pas été une mince affaire, a fortiori lorsqu'il convient de mener ce périple avec un homme souffreteux et impotent, à mi-chemin entre notre monde et celui qui lui succède. Condamné mais pas encore à l'article de la mort, l'entreprise valait la peine de s'y adonner quand bien même il eut fallut trépasser pour la mener à son terme.
Notre duo avait donc d'abord fait route le long des chemins côtiers longeant le littoral impérial puis avait dû se résoudre à couper à travers la brousse et l'épaisse futaie des terres intérieures pour échapper et se faufiler dans les mailles des trop fréquentes et sur le qui-vive sentinelles Ellgardiennes. Seth, ou plutôt Leonhardt et son camarade Arand durent crapahuter autant que faire se peut dans les marécages bordant la frontière naturelle, se dérobant dans les taillis et rampant dans la fange humide et poisseuse pour continuer leur aventure. L’œil Ellgardien veillait, guettait, surveillait, contrôlait de son esprit maladif et névrosé toutes les incursions à destination ou au départ de son territoire stérile et anémié. Le zèle d'une patrouille les avaient contraint à devoir montrer pâte blanche aux officiers, il fallut avancer des motivations obscures et plaintives, prétexter l'infirmité et l'état de santé désastreux de son compagnon puis invoquer enfin des motifs plus morbides encore - la préparation de la succession des héritiers du souffrant- devant leurs insistances à peine déguisées pour que le tandem puisse se dépêtrer de l'obstination des officiers. Quel mal insidieux pouvait donc composer ce duo loqueteux et à l'hygiène tout aussi douteuse ? Quelle sombre machination pouvait donc bien fomenter ces parias en se rendant dans le fief de ces créatures sylvestres ? Rien, du moins rien qui ne mettait visiblement la sécurité d'Ellgard à l'épreuve ou n'attentait à la vie de ses concitoyens et il était bien risible pour ne pas dire ridicule que de faire preuve d'un tel zèle pour les deux gueux en haillons qui se présentaient sans prétention devant leur jugement.
La démonstration avait été longue et les questions pressantes mais dans un énième toussotement rempli de miasmes, l'un des officiels avait fini par prendre pitié et d'un geste de dégoût leur fit signe de poursuivre leur route.
Lorsqu'ils parvinrent enfin au fruit de leur labeur à regagner un sentier forestier dans le premier bosquet venu, les deux comparses surent que le plus dur était derrière eux même si les forêts millénaires de Nueva regorgeaient de créatures mystiques, recelaient d'innombrables secrets et qu'ils n'étaient pas à l'abri d'une rencontre inopportune. Éprouvés par la traversée, le tandem poursuivit tant bien que mal son escapade en terre Nuevienne, serpentant laborieusement dans l'enchevêtrement de massifs boisés et de végétation dense qui constituaient pour l'essentiel de la topographie de cette grande forêt. Ils s’arrêtèrent à de nombreuses reprises, observant çà et là les chênes noueux et aux autres bétulacées pluriséculaires que comptait cette vénérable et auguste forêt. C'était un ravissement des sens pour les béotiens qu'ils étaient car jamais aucun de ces deux hommes n'avaient foulé l'abondante et féconde lande de Nueva, ils ne connaissaient cette patrie que par les légendes mystiques qui leur avaient été contés. La lumière diaphane tombait en fin rais à travers le feuillage clairsemé des hautes cimes, conférant à chaque panorama des jours qui s'ensuivirent une atmosphère picturale et onirique. Dans la poursuite de leur aventure singulière, les deux comparses découvrirent les vestiges d'anciens temples et sanctuaires dédiées aux dieux, rendant ainsi compte par la-même des obédiences religieuses des Nueviens. Amas de pierres dressés en autel, arrangement de statues diverses et variées au sein de décors naturels préservés, inscriptions runiques immuables ornant des roches millénaires. Nueva était un pays d'arcanes ancestrales où les esprits élémentaires marchaient dans vos pas pour les guider ou lorsque votre âme était impure à la volonté des dieux anciens, vous enjoindre de quitter ces lieux sacrés.
Ils avaient passé une semaine entière dans cette forêt, épanouis par les merveilles qu'elle prodiguait à qui savait regarder et profiter de ses richesses. Mère nature pourvoyait à leurs besoins et ce fut pour chacun d'entre eux, un véritable retour aux sources. Les deux hommes avaient installé un bref bivouac sur le bord d'une saillie rocheuse au creux d'une baie protégée, Seth chassait et prélevait le strict minimum pour les restaurer tandis que Arand, immobilisé sur sa couche profitait de ces précieux et privilégiés moments.
Peu à peu, au contact de ce havre de paix, Arand se sachant au crépuscule de sa vie, avait engagé un long travail d'examen de conscience qui le confinait à l'introspection. Il avait entamé de coucher sur papier de brefs pensées en guise de mémoires et estimait que c'était là un devoir moral que de dresser le bilan de ce que fut une vie passée à servir une cause qu'il jugeait juste et légitime.
Seth l'avait conduit en ces terres propices à la méditation et à la paix intérieure parce que c'était là une de ses volontés, Nueva et toutes les créatures mystérieuses qu'elle abritait le fascinait de son charme singulier et discret et l'état contemplatif dans lequel l'homme était plongé chaque jour durant contribuait à son apaisement spirituel et à accepter le sort inéluctable. Le soir, le ciel se constellait d'étoiles et d'astres lointains baignant de cette lumière sidérale si particulière la baie où ils s'étaient ancrés.
Arand partit la semaine suivante dans la sérénité et la tranquillité. Debout, le regard perché dans les nuages, le sourire aux bords des lèvres dans une clairière dégagé en contrebas d'un bois avoisinant. Seth offrit une sépulture décente à son ami dans une vallée non loin de là au pied d'un chêne massif qui trônait dans la quiétude de l'endroit.
Et au milieu coulait une rivière.
Gagner la verdoyante et luxuriante contrée Nuevienne n'avait pas été une mince affaire, a fortiori lorsqu'il convient de mener ce périple avec un homme souffreteux et impotent, à mi-chemin entre notre monde et celui qui lui succède. Condamné mais pas encore à l'article de la mort, l'entreprise valait la peine de s'y adonner quand bien même il eut fallut trépasser pour la mener à son terme.
Notre duo avait donc d'abord fait route le long des chemins côtiers longeant le littoral impérial puis avait dû se résoudre à couper à travers la brousse et l'épaisse futaie des terres intérieures pour échapper et se faufiler dans les mailles des trop fréquentes et sur le qui-vive sentinelles Ellgardiennes. Seth, ou plutôt Leonhardt et son camarade Arand durent crapahuter autant que faire se peut dans les marécages bordant la frontière naturelle, se dérobant dans les taillis et rampant dans la fange humide et poisseuse pour continuer leur aventure. L’œil Ellgardien veillait, guettait, surveillait, contrôlait de son esprit maladif et névrosé toutes les incursions à destination ou au départ de son territoire stérile et anémié. Le zèle d'une patrouille les avaient contraint à devoir montrer pâte blanche aux officiers, il fallut avancer des motivations obscures et plaintives, prétexter l'infirmité et l'état de santé désastreux de son compagnon puis invoquer enfin des motifs plus morbides encore - la préparation de la succession des héritiers du souffrant- devant leurs insistances à peine déguisées pour que le tandem puisse se dépêtrer de l'obstination des officiers. Quel mal insidieux pouvait donc composer ce duo loqueteux et à l'hygiène tout aussi douteuse ? Quelle sombre machination pouvait donc bien fomenter ces parias en se rendant dans le fief de ces créatures sylvestres ? Rien, du moins rien qui ne mettait visiblement la sécurité d'Ellgard à l'épreuve ou n'attentait à la vie de ses concitoyens et il était bien risible pour ne pas dire ridicule que de faire preuve d'un tel zèle pour les deux gueux en haillons qui se présentaient sans prétention devant leur jugement.
La démonstration avait été longue et les questions pressantes mais dans un énième toussotement rempli de miasmes, l'un des officiels avait fini par prendre pitié et d'un geste de dégoût leur fit signe de poursuivre leur route.
Lorsqu'ils parvinrent enfin au fruit de leur labeur à regagner un sentier forestier dans le premier bosquet venu, les deux comparses surent que le plus dur était derrière eux même si les forêts millénaires de Nueva regorgeaient de créatures mystiques, recelaient d'innombrables secrets et qu'ils n'étaient pas à l'abri d'une rencontre inopportune. Éprouvés par la traversée, le tandem poursuivit tant bien que mal son escapade en terre Nuevienne, serpentant laborieusement dans l'enchevêtrement de massifs boisés et de végétation dense qui constituaient pour l'essentiel de la topographie de cette grande forêt. Ils s’arrêtèrent à de nombreuses reprises, observant çà et là les chênes noueux et aux autres bétulacées pluriséculaires que comptait cette vénérable et auguste forêt. C'était un ravissement des sens pour les béotiens qu'ils étaient car jamais aucun de ces deux hommes n'avaient foulé l'abondante et féconde lande de Nueva, ils ne connaissaient cette patrie que par les légendes mystiques qui leur avaient été contés. La lumière diaphane tombait en fin rais à travers le feuillage clairsemé des hautes cimes, conférant à chaque panorama des jours qui s'ensuivirent une atmosphère picturale et onirique. Dans la poursuite de leur aventure singulière, les deux comparses découvrirent les vestiges d'anciens temples et sanctuaires dédiées aux dieux, rendant ainsi compte par la-même des obédiences religieuses des Nueviens. Amas de pierres dressés en autel, arrangement de statues diverses et variées au sein de décors naturels préservés, inscriptions runiques immuables ornant des roches millénaires. Nueva était un pays d'arcanes ancestrales où les esprits élémentaires marchaient dans vos pas pour les guider ou lorsque votre âme était impure à la volonté des dieux anciens, vous enjoindre de quitter ces lieux sacrés.
Ils avaient passé une semaine entière dans cette forêt, épanouis par les merveilles qu'elle prodiguait à qui savait regarder et profiter de ses richesses. Mère nature pourvoyait à leurs besoins et ce fut pour chacun d'entre eux, un véritable retour aux sources. Les deux hommes avaient installé un bref bivouac sur le bord d'une saillie rocheuse au creux d'une baie protégée, Seth chassait et prélevait le strict minimum pour les restaurer tandis que Arand, immobilisé sur sa couche profitait de ces précieux et privilégiés moments.
Peu à peu, au contact de ce havre de paix, Arand se sachant au crépuscule de sa vie, avait engagé un long travail d'examen de conscience qui le confinait à l'introspection. Il avait entamé de coucher sur papier de brefs pensées en guise de mémoires et estimait que c'était là un devoir moral que de dresser le bilan de ce que fut une vie passée à servir une cause qu'il jugeait juste et légitime.
Seth l'avait conduit en ces terres propices à la méditation et à la paix intérieure parce que c'était là une de ses volontés, Nueva et toutes les créatures mystérieuses qu'elle abritait le fascinait de son charme singulier et discret et l'état contemplatif dans lequel l'homme était plongé chaque jour durant contribuait à son apaisement spirituel et à accepter le sort inéluctable. Le soir, le ciel se constellait d'étoiles et d'astres lointains baignant de cette lumière sidérale si particulière la baie où ils s'étaient ancrés.
Arand partit la semaine suivante dans la sérénité et la tranquillité. Debout, le regard perché dans les nuages, le sourire aux bords des lèvres dans une clairière dégagé en contrebas d'un bois avoisinant. Seth offrit une sépulture décente à son ami dans une vallée non loin de là au pied d'un chêne massif qui trônait dans la quiétude de l'endroit.
Et au milieu coulait une rivière.